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Côté atlantique, Espagne - Îles Canaries
La Gomera ( N 028º04 - E 017º19 ), 2005-05-01
Deuxième chapitre

Ce matin, nous sommes de très bonne humeur : Après la session de travaux sur le bateau, on se prépare à partir demain au lever du jour. Un dernier coucou à tout le monde ; La GV est enfin arrivée, l'annexe est finie (on essaie, on bouche les trous ; on essaie, on bouche le trou... Ouf, on arrive à la faire rentrer sur le pont !), la météo est favorable... La vie est belle.

On partira en même temps que l'hydraplaneur d'Yves Parlier... Qui nous laisse vite loin derrière bien sûr. Avec le peu de vent qu'il y a, il est au près, et il fait tellement de cap qu'on dirait qu'il avance face au vent ! Même si notre nouvelle voile change complètement l'attitude du bateau, on ne fait pas le poids.

Les dauphins sont de retour, notre maison bouge, c'est reparti ! Bien évidemment, on a tout rangé et calé avant le départ ; j'ai même pensé à coincer les bouteilles pour qu'elles ne s'entrechoquent pas... Tout, sauf la caisse sous le réchaud, qui part au sol dans un coup de gîte, dans une odeur de vinaigre qui se répand... Tout va bien en somme, notre première nav depuis neuf mois se passe plutôt bien.
Jusqu'au moment où le GPS fait des caprices : juste à l'instant où il capte son troisième satellite (le minimum pour avoir notre position), le voila qui s'éteint. Ah, mais non, ça ne va pas du tout, ça ! On s'entête à le faire fonctionner, lui à s'éteindre dès qu'il capte ce fichu troisième satellite... Il faut qu'on se rendre à l'évidence, nous n'avons plus de GPS.
Alors là, je dois le dire en toute sincérité, on s'est un peu énervé, genre cri préhistorique pour évacuer toute cette mauvaise rage qui gangrène la réflexion ; et puis on a fait demi-tour.
Alors, l'estime, comment ça marche ; nous voilà replongés dans des problèmes d'algèbre bien connus : "Sachant que le dernier point du bateau Zigzago le place à 7 miles au nord-est de Las Palmas,
- qu'il se déplace à environ 4 noeuds (oui, notre loch non plus ne marche pas),
- qu'il fait cap au 330° depuis 5 heures,
- qu'il est parti à 8 heures (la petite info vicieuse qui ne sert à rien sinon semer le doute),
- que l'âge des capitaines est top secret,
Quelle est la position actuelle du bateau et quel cap doit-il suivre pour revenir à son point de départ ?"
Et n'oubliez pas la dérive sud-ouest de 0.5 noeuds, vous avez 10 minutes.
Et le sextant, me direz-vous ; hé bien j'aimerais vous y voir, avec une calima (vent venant du désert, chargé de sable, qui réduit la visibilité) comme celle qu'il y avait ! Et puis on n'en a toujours pas. Rassurez-vous, nous avons réussi à retrouver l'île, le port, éviter la digue (ils pourraient mettre un feu quand même !), et avons même fait l'arrivée la plus belle de notre courte carrière. Le ponton n'a même pas eu mal !

De retour à Las Palmas, donc ; ça coûte combien, un GPS ? Aïe, hé bien je vous en prends un quand même. C'est chouette, la plaisance, comme disait l'autre, l'imprévu, on devient philosophe, tout ça. Bon, dans quelques jours, la météo est de nouveau favorable.

Et quelques jours et raffales plus tard, nous sommes mouillés à Valle Gran Rey, au sud ouest de l'île de La Gomera. Nous sommes passés de l'hiver (oui, il pleuvait encore à Las Palmas) à l'été.
Les allemands sont partout ici. Une communauté hippie s'était installée dans les années 70, elle est devenue centre de méditation ; visité guidée tous les jeudis, une heure de méditation, repas végétarien, 13 euros, merci de réserver au moins la veille... Les espagnols s'adaptent, ils vendent des papayes bios à trois euros le kilo.
On nous présume allemands avant même de nous adresser la parole, certains ne parlent pas un mot d'espagnol ou d'anglais (il faut oublier le français). On a un peu l'impression d'être dans un lieu factice ; tout est fait pour le tourisme, et les gens de l'île n'ont pas particulièrement l'air accueuillants (on aurait peut-être aussi le sentiment de se faire envahir à leur place). Ceci dit, l'ambiance est toute tranquille, quel calme après Las Palmas !

On prend le temps de se balader un peu avant de repartir.

L'île est beaucoup plus verte que Gran Canaria. Il pleut régulièrement l'hivers, et on retrouve une végétation qui rappelle les côtes françaises de la Méditerranée... Les palmier et cactus en plus.

Comme d'habitude, la partie nord est sous un nuage permanent ; plus on monte, plus c'est humide. Le centre de l'île est occupé par une forêt, une vraie, avec des arbres autre que des pins ou des palmiers, de la mousse sur leurs écorces et même de la boue qui colle qux chaussures ; des petits cours d'eau. Ca fait longtemps qu'on avait pas vu ça.
Arrivés en haut du Pico Garajonay, on est au-dessus du nuage. Et on aperçoit les sommets des autres îles, flottant dans la mer de nuages.

Sur les "sites intéressants", des panneaux expliquent où et quoi regarder... C'est pratique, c'est vrai qu'on avait pas remarqué le nuage. Heureusement, j'avais un guide formidable.

Ca a des faux airs du CapVert, tout ça. Même vallées profondes, même petits villages bétonnés-colorés, même terrasses à flancs de montagne... Mais les terrasses ici sont beaucoup moins cultivées, c'est plus vert, et évidemment, des routes partout, asphaltées, empruntées par beaucoup plus de voitures...

Au retour, arrêt obligé au bar du port, un petit blockhaus juste en face du quai que nous escaladons tous les jours (non, là j'en rajoute, il y a une échelle).
C'est un bar populaire typiquement espagnol, sombre et bruyant : TV allumée à fonds en permanence, machine à sous et discussions de comptoir endiablée ; sans oublier l'indispensable odeur de friture : les espagnols dedans, les touristes et les allemands prennent le soleil en sirotant leur bière dehors.

On y sympathise avec Ali, un des serveurs. Il est arrivé du Maroc il y a quatre ans, en "patera" : une petite barque à moteur, dans laquelle s'entassaient vingt personnes ; quelques milliers d'euros, trois jours de traversée pour enfin débarquer sur Lanzarote, l'île la plus proche de la côte africaine. Son histoire ressemble à celle de beaucoup d'autres, dont les informations parlent quotidiennement ici : des pateras arrivent tous les jours, repérées ou pas par la police maritime, avec plus ou moins de morts à bord... des histoires souvent tragiques.
Ali a dormi souvent dans la rue, sur la plage (à Las Palmas on avait vu la plage envahie de vacanciers la journée se transformer le soir en dortoir à ciel ouvert) ; il nous dit la difficulté de trouver du travail, éviter les contrôles de police, l'expérience de la solitude quand les gens ont eu peur de l'aider...
Il a réussi à obtenir des papiers avec la régularisation massive qu'a commencé le gouvernement espagnol en mars. Mais sur la Gomera, pas d'association, il a du se payer un avocat pour faire les démarches ; enfin, il est heureux de nous montrer ses papiers : "Maintenant, la police, c'est plus un problème.", nous dit-il avec un grand sourire.
Nous restons toujours impressionnés devant tant de détermination : réunir l'argent du départ, entreprendre cette traversée périlleuse, pour peut-être revenir à la case départ avant même d'avoir pu toucher le sol ; sinon commencer une vie difficile, avec la responsabilité de faire vivre la famille restée au pays.
Dans quelque semaines, nous allons retrouver les prétendants au départ... Pour nous, c'est facile : tiens, si on allait là, on pourrait essayer d'y travailler un peu avant de continuer le voyage ; et nous serions choqués qu'on nous refuse l'entrée dans un pays.

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